L’école de demain #2/2

questions créativitéA travers une première partie (1) et au-delà du manichéisme de la dichotomie plaisir/ennui, nous nous sommes posés cette question ; que faire quand l’ennui prend trop fortement le pas sur le plaisir à l’école ? Car je n’évoquais pas la douce rêverie ou l’ennui légitime et naturel  (et signe paradoxalement du vivant !), mais bien l’ennui mortel et omniprésent, qui est devenu la norme aujourd’hui dans nos salles de classe. A quoi pourrait ressembler cette école du futur ?

«Il s’agit surtout d’apprendre à apprendre»

Le philosophe prussien Wilhelm von Humboldt (1767-1835) fut diplomate, ministre de l’éducation, linguiste et le fondateur de l’université de Berlin qui porte son nom depuis 1949. Il est aujourd’hui reconnu pour sa théorie de l’éducation qui a fortement inspiré les systèmes éducatif de pays comme les États-Unis ou le Japon. En 1793, dans son traité sur la «Théorie humaine de l’éducation», Wilhelm von Humboldt écrit : «la tâche ultime de notre existence est d’accorder la plus grande place au concept d’humanité dans notre propre personne (…) à travers l’impact de nos actions dans nos vies (…) Cette tâche ne peut s’établir uniquement par les liens établis entre nous en tant qu’individus, et par ceux qui nous lient avec le monde qui nous entoure (…) L’éducation individuelle ne peut continuer que dans le contexte plus large du développement du monde». Humboldt est pour moi un génial pédagogue visionnaire ! Relisez attentivement les extraits du traité de Humboldt, celui-ci est parfaitement en phase avec la nature des défis que les générations futures vont devoir relever. En phase encore avec la nécessité d’initier tous nos enfants à devenir des « créateurs de projets de vie » inventifs et autonomes, conviviaux et plurivalents. Selon la pensée de Humboldt – qui date de deux siècles ! – nous n’en avons pas seulement le droit, mais nous avons aussi le devoir de participer au développement du monde qui nous entoure. Ainsi, nos écoles doivent redevenir des lieux conviviaux, où l’esprit créatif est stimulé. Car l’enjeu pédagogique de demain est là : Humboldt disait «Il s’agit surtout d’apprendre à apprendre», et pour ça, la motivation est essentielle et doit devenir le coeur du projet éducatif.

Actuellement, notre modèle pédagogique est principalement axé sur le principe de récompense : obtenir de bonnes notes, obtenir un diplôme. La plupart de mes étudiants focalisent prioritairement sur cette carotte ; le cours n’a encore pas commencé qu’émergent immédiatement les questions «quelles seront les modalités du contrôle ?», «monsieur, sur quel bouton dois-je appuyer pour obtenir une bonne note ?»… Des questions pas tout à fait idiotes, mais qui démontrent un certain «effet corrupteur de la récompense» (Lire les études passionnantes sur le sujet de Richard Nisbett, Mark Lepper et David Greene – psychopédagogues de Stanford). En effet, toutes les recherches confirment le fait que, si on s’éloigne d’un véritable intérêt pour la matière au profit du fait d’étudier pour obtenir avant tout de bonnes notes et un diplôme, cela engendre inévitablement des étudiants à motivation plus éphémère, instable et volatile. Or, la motivation est un moteur essentielle – cela est encore plus vrai pour la Génération Y.

Génération Y et néo-profs

On trouve ça bien ou pas, aujourd’hui c’est un fait ; les 17-25 ans version 2016 sont moins respectueux de l’autorité de leurs prescripteurs – leurs enseignants – et sont devenus peu/moins réceptifs aux apprentissages ultra-formels type le sacro-saint cours magistral en amphi, considéré par la génération Y comme obsolète et inefficace pour apprendre. Et quoi de plus autoritaire et ennuyant – en tout cas subi comme tel pour les étudiants – qu’un cours traditionnel où le prof récite les énoncés de son diaporama ? Lorsque l’on interroge les étudiants, on s’aperçoit qu’ils ne plébiscitent pas un professeur parce qu’il est «sympa» et «souple sur les dates de rendus». Au contraire, les recherches sur l’EEE (évaluation des enseignements par les étudiants) révèlent que les enseignants les plus exigeants obtiennent les meilleures appréciations. En clair, dans l’école de demain, le prof doit changer (quitte à prendre des cours de théâtre !). Une parole fluide et claire, un discours incarné et adressé, une capacité à donner son point de vue personnel, une réelle maîtrise du contenu (une sacrée plus-value par rapport à la récitation du diaporama !), capable de raconter des expériences vécues pour contextualiser dans la «vraie vie» les vues du cours, capable d’introduire des anecdotes – pour intéresser son auditoire et «raconter une histoire».

Le philosophe Arthur Schopenhauer disait à propos de la motivation : «Vous pouvez faire tout ce que vous voulez, mais vous ne pouvez pas décider de désirer». Comme nos élèves n’entretiennent (presque ) plus de désir, les enseignants n’ont d’autre choix que de rallumer leur enthousiasme et leur adhésion. Sans motivation, on ne peut rien faire, rien n’est possible. Je ne voudrais pas créer de malentendu, on peut être fier de notre école (et de nos enseignants !), mais je crois qu’on peut la faire avancer. Avancer c’est aussi, se remettre en question, nous, les enseignants.

L’urgence de la «grande école du numérique»

Le code doit-il faire l’objet d’un ajout urgent dans l’apprentissage du socle de connaissances à l’école ? Pour répondre à cette question, il faut prendre conscience que la question numérique est un enjeu majeur d’employabilité des nouvelles générations. Le numérique est aussi primordial pour la compétitivité de nos entreprises. Il est donc urgent d’y préparer notre jeunesse, car notre pays et l’Education Nationale accusent un retard important dans ce domaine. Pour Stéphane Distinguin (membre du Conseil national du numérique (CNNum) et président du pôle compétitivité et de transformations numériques Cap Digital), «Il ne s’agit plus seulement des emplois à créer, mais aussi des emplois qui nous échapperaient. Si on ne saisit pas très vite de cette question, on souffrira davantage de la «colonisation numérique» : les emplois, les décisions, les algorithmes seraient ailleurs et nous, nous serions condamnés dans l’économie de demain, à n’être plus que des chauffeurs pour Uber ou des clients pour Google».

Qu’on le veuille ou non, le numérique est déjà dans la vie des enfants – avec ou sans l’école. «L’informatique, c’est avant tout une technologie de l’écriture. L’organisation que l’école enseigne à ses élèves, c’est celle de l’entreprise du début du XXe siècle et une manière de structurer son travail sur le papier : le cahier, l’intercalaire, la couleur. Aujourd’hui encore, les enfants passent beaucoup de temps à maîtriser des tableaux à double entrée : on apprend à mettre un nom en face d’une tâche, par exemple. Avec l’informatique, on va beaucoup plus loin : on travaille sur des graphes, sur des tableaux à plusieurs dimensions. Changer le rapport à l’écriture avec l’informatique, c’est changer la manière de penser», rapporte Eric Bruillard (directeur du laboratoire Sciences, technique, éducation formation à l’Ecole Supérieure Normale de Cachan). Oui à l’entrée du numérique dès la maternelle.

On pourrait comparer un étudiant destiné au marché du travail sachant utiliser les technologies sans maitriser le code à quelqu’un qui saurait lire sans savoir écrire. L’implication du code s’émancipe maintenant dans un large panel d’apprentissages et de futurs métiers (rapport à l’information, traitement de bases de données, maniement de machines,…). L’objectif n’est pas forcément de devenir un codeur chevronné, mais simplement de pouvoir dialoguer avec des prestataires de services inévitables d’ici quelques années et se familiariser avec ce mode de fonctionnement. Et même si demain il y aura une nouvelle «Big Révolution» – nouveaux langages, nouvelles technos – rien ne sera perdu ; les étudiants auront intégré de nouvelles façons de penser.

Le numérique possède un autre avantage ; quand on se promène dans un FabLab ou dans une Ressourcerie, on se rend compte que les outils et les machines utilisés dans ces lieux sont les mêmes que celles sur lesquels les élèves des lycées professionnels travaillent. Nous devrions être très sensibles au fait que le numérique constitue un moyen de revaloriser – et elles en ont bien besoin – les filières techniques et professionnelles. Enfin, dans une société où le divertissement prédomine (très vrai pour la génération Y), l’apprentissage du code rappelle l’exigence de la patience et de l’effort.

 

Deux cas d’écoles ; W & 42

Ecole W : l’école W est une école d’enseignement supérieur post-bac créée en 2016 par le Centre de Formation des Journalistes (CFJ). Elle forme aux métiers créatifs de la nouvelle économie en 3 ans. L’approche et les contenus me semblent intéressants / «Je ne sais pas quels seront les métiers de communication dans dix ans. Ce que je sais en revanche, c’est qu’il y a des qualités humaines et des savoir-faire qui seront clefs pour les exercer. » Nicolas Vanbreemersch, CEO de Spintank / Vu sur le site : http://www.ecolew.com/

Ecole 42 : les emplois les plus passionnants et dont la France a besoin sont désormais numériques. « Si la France, 5e puissance économique mondiale, tenait sa place dans le numérique, au lieu d’être 20e, elle aurait réglé le problème de l’emploi ». Le manque de développeurs ralentit dangereusement les projets de transformation de nos entreprises et freine la création de milliers d’emplois induits. Découvrez la seule école d’informatique entièrement gratuite et peer-to-peer / Vu sur le site : http://www.42.fr/

 

La jeunesse, une source d’inspiration !

Le mot de la fin (et peut-être le plus important ?) ; les parents ont aussi un rôle à jouer dans la transformation de l’école. Notre archaïsme pédagogique n’est-il pas encouragé par cette majorité de mamans/papas qui ne rêvent pour leur moutard que d’une école basiquement «coach-school», dirigée vers cet objectif ; une spécialité pointue, rare et hyper-rémunératrice ? comme si, au fond, il fallait accepter le modèle pyramidal – les chevaux de trait à la base et les chefs à la pointe. Et comme si le monde n’avait pas changé !

Cette jeunesse, elle, a changé ! Elle n’est pas toujours «sacrifiée» ou «désabusée», loin de là ! Je suis au côté de mes étudiants de vingt ans, tous les jours, et je vous affirme qu’ils sont de plus en plus nombreux à vouloir agir pour construire leur monde de demain ; ils sont positifs, optimistes, et ils innovent !  Ils sont de plus en plus nombreux à vouloir privilégier la quête de sens et l’utilité sociale sur le montant du salaire. Ils sont de plus en plus nombreux à se mobiliser pour façonner une économie du partage, plus collaborative et plus respectueuse de l’environnement. Mes étudiants en commerce sont de plus nombreux et sensibles aux principes de l’économie sociale et solidaire. Elle est comme ça cette jeunesse, elle dispose de nouveaux supers-pouvoirs : ces digital-natives, issus de l’ère du web 2.0, forment des communautés d’intérêt via les réseaux sociaux, elle fabrique de l’intelligence collective via le gaming en ligne, elle élabore des solutions en mode Do It Yourself… Et bien moi, mes étudiants m’inspire. Et je suis persuadé qu’ils feront mieux que nous. En fait, ils sont même en avance sur l’école.

Les grincheux proclament que cette jeunesse n’est pas empathique ? 3,3 millions de bénévoles en France ont entre 15 et 35 ans. Ils représentent 26% du nombre total des bénévoles / avec + 32% entre 2010 et 2013 ! (Source : France-Bénévolat, juin 2013).

Je vais dire un truc qui va faire ronchonner ceux qui considèrent le mot «entreprise» comme un gros mot, mais je trouve clairement que le monde des grandes entreprises est souvent plus éclairé que notre modèle pédagogique – qui lui fonctionne encore sur le vieux schéma de plus d’un siècle, celui de la société industrielle. Car depuis quelques années, on voit apparaître une nouvelle génération de managers, désireux de changer leur entreprise de l’intérieur, en quête de sens et créant d’innovants business models. Allez, je me risque à poser la question : l’école ne pourrait-elle pas parfois s’inspirer de la démarche de certaines de ces entreprises qui innovent, qui explorent de nouveaux marchés en cohérence avec des valeurs, qui re-motivent des troupes… ?… Bon, même si je pense davantage au monde de l’enseignement supérieur, je mesure bien qu’en France vouloir tisser une ligne entre entreprise-école relève du bûcher.

 

A quoi pourrait ressembler l’école de demain ?

Le philosophe allemand Richard David Precht propose : «D’abord, quelques rares matières fondamentales, peut-être les maths et les langues, pourraient continuer à faire l’objet d’un enseignement classique, mais pris au sein d’un système de « contrats » individuels : dans ces matières, l’élève s’engagerait devant l’école à atteindre un certain niveau à certaines étapes de son parcours sur plusieurs années, libre à lui de le faire au rythme qui lui convient, en accord avec ses accompagnateurs. L’essentiel de l’éducation s’organiserait autour de « projets » conçus sur plusieurs mois, voire plusieurs années, regroupant les enfants par goûts, affinités, centres d’intérêt. De petits groupes d’une quinzaine d’élèves s’organiseraient autour de thèmes qui les passionnent. Comme les classes du fameux collège d’Harry Potter ! On pense aux visions de Montessori, Steiner, Freinet… Elles supposent toutes des enseignants d’un nouveau genre, davantage pédagogues que spécialistes d’une matière. Car une autre caractéristique de cette révolution serait que les professeurs suivraient leurs élèves pendant plusieurs années. Au lieu de se retrouver toutes les heures face à un enseignant différent qui n’a souvent pas le temps de les connaître, les enfants seraient accompagnés de près par des maîtres s’intéressant à leur parcours personnel à long terme». Chiche ?

Bref, l’école de demain est à construire !

MB

(1) https://maximebeaulieublog.wordpress.com/2016/01/08/lecole-de-demain-12/

Une réflexion sur “L’école de demain #2/2

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